Se distinguant radicalement de son prédécesseur, ce restaurant lyonnais jouait déjà les premiers rôles avant même la pandémie de Covid-19. Il a d’ailleurs été récompensé lors du Lyon Shop Design 2019, pour son agencement comme pour son identité graphique.

B ienvenue dans un atelier! Situé dans le quartier d’Ainay à Lyon (IIe arrondissement), l’Établi est un restaurant qui propose à ses clients un univers différent, une histoire racontée visuellement. «Révéler le travail de la main», tel était le fil conducteur suivi par Collectif Saône, groupement de quatre architectes créé en 2016 et habitué à la réalisation de bars et de restaurants lyonnais (Gastropub, la Mutinerie…), suivant ainsi la volonté exprimée par le couple de gérants, Marie Garbiès et Louis Fargeton, lors de la reprise du lieu.

Créer une narration

«Le nom de notre restaurant, l’Établi, avait été choisi dès le début du projet, et indiquait ainsi la direction à prendre, affirme Marie Garbiès. Nous souhaitions opérer une rupture totale avec l’établissement qui occupait les lieux avant nous.» Plutôt bourgeoise, la Table de Suzanne jouissait d’une certaine renommée dans la capitale des Gaules et pouvait recevoir beaucoup plus de convives; désormais, les deux salles communicantes de l’Établi accueillent «seulement» 35 couverts. « L’objectif était de créer une narration, de trouver une histoire racontée par le lieu en lui-même.» Le rendu est réussi: dans une ambiance à la fois rustique et moderne, les discrètes – quoique nombreuses – touches rappelant l’atelier d’un artisan créent directement un lieu unique en son genre. Et malgré l’usage de couleurs plutôt froides, l’endroit reste chaleureux, notamment grâce à l’association de matériaux comme la pierre, le cuir et le bois principalement.

Un jeu d’allusions et de références

« Nous avons essayé d’utiliser un maximum d’éléments que l’on peut retrouver dans un véritable atelier d’artisan du bois, résume Pierre Dumas, de Collectif Saône, de nous concentrer sur la logique de l’artisan en valorisant son espace.» Les références sont donc aussi variées que l’utilisation qui en est faite, du simple usage décoratif au mobilier destiné au client. L’on trouve par exemple, exposée sur les murs, une collection d’outils de travail du bois. Il a été décidé de les peindre de la même couleur que le mur, afin de ne laisser ressortir que la forme de l’objet. «Toujours dans l’allusion, insiste l’architecte, il s’agit de raconter quelque chose sans tomber dans l’imitation, de ne pas rester bloqué au premier degré.» Moins discrets mais tout aussi évocateurs, certains sièges destinés aux clients sont des billots de bois dans lesquels ont été fixés un dossier et un capitonnage en cuir. Enfin, dernier détail et non des moindres: les tables du restaurant sont toutes d’anciennes tables martyres récupérées d’ateliers existants, sur lesquelles a été coulée de la résine. «Nous ne voulions pas de verre car c’est un matériau froid et bruyant», explique Marie Garbiès.

Le bleu, pari réussi

Outre les rapports à l’atelier, d’autres idées contribuent au charme de l’établissement. Et tout d’abord, comment ne pas citer le plafond de bouteilles? Au-delà de l’originalité de voir 500 bouteilles (autrefois remplies de peinture) suspendues au-dessus des têtes des clients, elles constituent un (gros) détail rappelant le lien avec l’artisan tout en contribuant à l’ambiance de l’ensemble.

Chaque bouteille voit donc son fond coloré de bleu, à la façon d’un pot de peinture presque vide. Une couleur que l’on retrouve pour le bar, les rideaux et les boiseries. «Les boiseries étaient déjà en place, et nous nous les sommes appropriées grâce à cette continuité de couleurs », précise Élodie Mas, deuxième des quatre architectes de Collectif Saône à avoir travaillé sur le projet. Cette application de bleu représentait un petit challenge pour l’équipe, ponctué d’une grosse interrogation: le bleu étant une couleur non alimentaire, le risque de repousser le client – même inconsciemment – était bien présent. Au contraire, ces bouteilles au fond bleu suspendues attisent la curiosité des passants, qui peuvent les apercevoir depuis la rue.

Séparation…

Le bleu est également très présent dans le petit salon de chasse (et boudoir). Séparé du reste de la salle par un simple rideau, il offre une atmosphère plus intime, due notamment à l’utilisation de textiles (rideaux et tapis). Dans le même ordre d’idée, c’est un vaste meuble sur mesure qui sert de délimitation entre l’une des salles du restaurant et l’entrée: dans le prolongement de la porte, il guide jusqu’à l’une ou l’autre des salles.

… et convergence

Véritable point de convergence de l’établissement, ce meuble est ouvert en de nombreux endroits de façon à ne pas arrêter le regard, et sert tout à la fois de vestiaire, de caisse, d’espace de rangement… Le coloris du bois rappelle celui des tables martyres et du parquet massif d’origine, qui a été poncé et ciré. Six semaines de travaux seulement ont été nécessaires pour livrer le chantier, et l’inauguration a eu lieu en 2017. Depuis, l’affluence est allée croissante. « Nous voulions un lieu qui nous ressemble, conclut Marie Garbiès, pour accueillir les clients chez nous. » L’histoire racontée à l’Établi a visiblement l’air de leur plaire !