Selon une étude de l’OCDE réalisée en 2016, les Français consacrent en moyenne deux heures et treize minutes par jour à manger et à boire. Soit le double des Américains. L’art de vivre à la française a-t-il dès lors une influence particulière quant à la typologie ou à l’aménagement de l’espace?

Les typologies et les tendances

La gastronomie française a été classée patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO en 2010. Si cette date ne bouleverse pas fondamentalement le rapport de nos concitoyens à leurs repas ou le sens porté à la transmission des savoir-faire culinaires et à l’attachement au terroir, c’est la pratique sociale qui est particulièrement mise en valeur par la convivialité et la notion de partage au quotidien. L’importance que nous accordons aux rituels de chaque jour permet aux typologies de cuisine de mieux s’adapter aux besoins. Ainsi, ces dernières années, nous constatons que l’espace cuisine s’ouvre de plus en plus sur l’habitation ou au public, selon qu’il s’inscrit dans un cadre privé ou professionnel. Certes, la crise sanitaire liée à la Covid-19 a accéléré le phénomène: nous passons plus du temps devant les fourneaux, et la préparation des repas est considérée comme une activité ludique à partager plutôt que comme une corvée. Ce n’est plus une pièce à cacher, mais un vrai lieu d’expériences: on peut y réaliser une recette en famille ou avec des convives, trinquer ou grignoter autour d’un plan du travail, voire travailler et surveiller les devoirs des enfants… Les fonctions se multiplient et se superposent dans l’espace cuisine qui occupe désormais une place stratégique dans l’habitat. Dès lors que le plan d’un projet ou d’une réorganisation est en discussion entre le concepteur et son client, cette pièce devient prioritaire par rapport aux autres. Au lieu de tourner le dos aux convives, l’évier ou la plaque de cuisson sont installés face à la salle à manger. D’où la configuration en îlot central, qui permet plus facilement cet aménagement et peut s’adapter aux moyens et grands espaces. Nicolas Bossard, l’architecte HMONP de l’agence Nicolas Bossard architecture, basée à Paris, constate que « la cuisine est devenue une pièce centrale de vie et d’expériences que l’on souhaite montrer. Donc, elle est de plus en plus scénographiée et s’ouvre à d’autres usages, comme travailler en créant un  home office ou accompagner les devoirs des enfants. Au point de vue architectural, son dessin et les matériaux utilisés prennent plus d’importance ». Réunir et conjuguer le comptoir, la table de cuisine ou la bibliothèque permet un prolongement du séjour et de la salle à manger. Les matériaux nobles s’intègrent d’une manière fluide à la cuisine pour donner une cohérence à l’ensemble de l’espace vie.

« Depuis la crise sanitaire, cet espace a pris une importance plus grande encore, devenant à la fois salle de classe et de réunion, bureau privé, etc. Les personnes qui n’avaient pas le temps de cuisiner ont pu se remettre derrière les fourneaux et cela leur a fait prendre conscience que leur aménagement n’était pas adapté. On dirait qu’il y a une sorte de surenchère sur la cuisine, c’est à celui ou celle qui aura la plus belle, la plus pratique, avec le plus de gadgets, des coloris design, etc. Aujourd’hui, elle se veut chaleureuse, dynamique, sympathique, une vraie pièce de vie à part entière », observe Céline Meyniel, représentante de l’entreprise Cuisin’Vraie et agenceur d’intérieur basée à Saint-Flour, dans le Cantal. Selon elle, les tendances omniprésentes sont les styles scandinaves, accueillants, doux et rassurants; plus rustiques avec une esthétique campagnarde et du bois, qui rappelle des valeurs plus intimes liées à l’image de la cuisine de grand-mère ; et enfin industriels, qui permettent de combiner tous les matériaux et toutes les décorations dans un univers hétéroclite. Dans cette veine, un nouveau mélange a récemment fait son apparition: le japandi, une association du style scandinave et de l’esprit japonais, qui, à la différence des autres, demande épuration et allègement.

« Réunir et conjuguer le comptoir, la table de cuisine ou la bibliothèque permet un prolongement du séjour et de la salle à manger. »

Optimiser les petits espaces et multiplier les fonctionnalités

« Nous réalisons aussi des cuisines qui se trouvent dans des espaces qui ne sont pas forcément techniques, car de grandes colonnes intégrées permettent de tout cacher, y compris l’électroménager, et de masquer la porte du four une fois que la préparation est finie », observe Nicolas Bossard à travers ses dernières créations parisiennes. Aujourd’hui, les rangements verticaux sont variés, avec ou sans portes, sur toute la hauteur de mur, en adaptant la profondeur des étagères en fonction des outils et objets, et ils autorisent la mise en place d’un coin pour le petit-déjeuner ou la cave à vin, la combinaison des équipements que l’on souhaite dissimuler. Optimiser la moindre superficie est une solution à apporter à chaque projet. Par exemple, la marque italienne Aran Cucine propose son système LAB13 qui répond aux solutions de domotique, appliquées au secteur du meuble. La base de mesure de la hauteur du mobilier qui se joue sur des multiples de 13 cm permet d’ajuster plus facilement et d’organiser les éléments en réfléchissant au rangement le plus approprié. Afin de pousser plus loin l’idée de la superposition des fonctions dans un seul espace, le projet BoxLife réunit la flexibilité et la modularité. Il est ainsi possible de travailler, cuisiner et se reposer dans le même espace grâce à l’agencement sur mesure en îlot, linéaire ou en angle. Yorgo Lykouria, directeur créatif de l’entreprise Rainlight qui a collaboré au projet avec la marque italienne Scavolini, l’évoque: « BoxLife facilite la cohabitation harmonieuse de chaque composant avec les autres. » Cette réflexion de modularité permet de s’adapter aux différents scénarios de logements type pied-à terre, à la location à court terme ou au home office.

Les matériaux éthiques et durables à la portée d’une cuisine mixte

L’usage des matériaux naturels est plus que jamais au cœur de la conception des projets, portée sur la valeur durable, voire, à terme, au réemploi. Cela se joue « souvent dans l’association des contrastes. De la pierre et du bois, par exemple », remarque Nicolas Bossard. Le granit et le marbre utilisés en tant que motifs ou, en fonction des objectifs, appliqués au retour de la crédence et/ou au plan de travail permettent d’obtenir un rendu particulièrement graphique, contrebalançant avec l’expression plus sage de la façade de cuisine lisse et mate en bois. L’essence pour le placage des meubles est souvent le chêne, mais des bois exotiques comme l’acajou, le teck ou le palissandre sont également très appréciés de nos jours. L’élégance s’affirme par la continuité du veinage. Au final, cette écriture contrastée avec le jeu de matière devient harmonieuse. « Nous jouons parfois volontairement sur l’effet de dissociation de l’îlot central avec le reste de la cuisine en empruntant des vocabulaires différents », complète-t-il. L’application des couleurs nuancées, réparties selon la hauteur des meubles, permet de jongler avec un échange chromatique intéressant. Dans les zones urbaines, l’usage de matériaux à très fort caractère, comme l’acier foncé, ou de teintes assumées, par exemple du noir, du bleu nuit ou du vert sombre, sont au rendez-vous. Quant au milieu rural, « la moyenne d’âge de nos clients étant très élevée, nous travaillons surtout des matières telles que le bois, la pierre ou la céramique, car ils souhaitent de la robustesse avant tout. Nous avons une clientèle plutôt issue de la rénovation, dans des vieux corps de ferme, des maisons de maître, donc nous adorons mélanger les matériaux », souligne Céline Meyniel. Au-delà de l’aspect fonctionnel et de l’esthétisme, c’est la pluralité d’usages qui va permettre de piloter et de concevoir la configuration de la pièce, notamment le choix des différents éléments. La cuisine dispose certainement de très nombreux atouts pour devenir un espace encore plus vertueux et initier dès à présent la convivialité de demain.