Mandaté par l’Ameublement français, l’institut Sociovision a étudié l’influence du rangement sur le bien-être des Français. Espace saturé, chaos intérieur, lutte contre le désordre, attentes en matière de meubles de rangement… de nombreux sujets sont abordés, et six profils types de «rangeurs» décrits.

Le rangement est tendance. Il n’y a qu’à voir à quelle vitesse se multiplient les vidéos, guides et autres ouvrages consacrés au sujet, en ligne comme dans les librairies. Même la plateforme Netflix s’est emparée de ce symptôme de notre époque dans sa série l’Art du rangement réalisée avec Marie Kondo, papesse du domaine et auteure à succès. Il n’en fallait pas plus à l’Ameublement français pour décider d’analyser cette mode et de décrypter les besoins de nos compatriotes, pour aider les entreprises à prendre le train en marche. Une étude que l’organisation professionnelle a confiée à l’institut Sociovision, filiale du groupe Ifop spécialisée dans le suivi et l’anticipation des valeurs, des modes de vie et de consommation.

Échantillon représentatif

«Nous voulions étudier le sujet de manière approfondie, chiffres à l’appui », introduit Cathy Dufour, déléguée générale de l’Ameublement français. D’où la nécessité de faire appel à Sociovision: en amont de l’enquête quantitative, l’institut a mené différents «entretiens ethnographiques» auprès de foyers français ainsi qu’une série d’interviews de spécialistes renommés, à l’image du sociologue Jean-Claude Kaufmann, de l’architecte d’intérieur Bruno Pineteau, de la coach en rangement Yoko Kajigaya ou encore de Jean-Marc Barbier, expert innovation et ergonomie à FCBA. Ces entretiens préalables ont permis d’élaborer le questionnaire qu’a ensuite utilisé Sociovision pour une enquête en ligne auprès d’un échantillon de 1514 personnes, évidemment représentatif de la population française entre 18 et 70 ans, et dont les résultats ont été dévoilés le 21 novembre dernier dans les salons du Park Hyatt Paris-Vendôme.

La maison comme refuge

Première donnée, très importante, qui se dégage : la tendance des Français (74%) à rester chez eux. La vogue du cocooning qui s’est installée au cours des années 2000 s’est accélérée depuis une dizaine d’années sous l’influence de différents facteurs: «Pouvoir d’achat en baisse, sentiment d’insécurité, ou encore omniprésence d’Internet grâce auquel le monde vient à nous, énumère Rémy Oudghiri, sociologue et directeur général adjoint de Sociovision. Les Danois ont même mis un nom sur ce besoin d’atmosphère réconfortante avec le concept de Hygge. La maison a ainsi acquis une énorme importance, et l’on y accumule beaucoup de choses. » Et c’est bien cette accumulation de possessions, couplée à la diminution des surfaces habitées en raison du coût de l’immobilier, qui induit le manque de place et la nécessité du rangement. 57% des personnes interrogées affirment avoir tendance à entasser, voire à tout conserver. Un chiffre à nuancer toutefois: si 54 % estiment avoir besoin d’être entourées d’objets et de bibelots, notamment ceux ayant une valeur sentimentale, 38% trouvent avoir trop de choses chez eux, et 49% se plaignent de manquer d’espaces de rangement. Parmi elles, 25% sont prêtes à revoir leur façon de ranger (un taux qui s’élève à 35% en Île-de-France), et surtout 27% envisagent d’acheter des rangements supplémentaires dans les mois à venir.

Des lieux ciblés

L’étude a fait émerger les problématiques principales des Français en termes de besoins de rangement. En tête de liste, la cuisine. Les ustensiles utilisés régulièrement tout comme les appareils d’un usage plus occasionnel reviennent régulièrement parmi les objets les plus difficiles à ranger. Arrivent ensuite les chaussures, puis les vêtements ou encore les produits d’hygiène et de soin. «L’étude est vraiment symptomatique des besoins des Français, insiste Rémy Oudghiri, et s’est révélée encore plus pertinente lorsque nous nous sommes rendus chez certaines des personnes interrogées. Dans la cuisine, le côté pratique – avoir les ustensiles à portée de main – prend souvent le pas sur l’hygiène, car ils prennent vite la graisse… Les chaussures, difficiles à cacher, traînent souvent dans l’entrée ou débordent des rangements qui sont censés leur être destinés. Mais l’exemple le plus criant d’externalisation des objets est celui où l’on a découvert l’appareil à raclette dans le placard de la salle de bain familiale, où se trouvait la seule place encore disponible! »

Une évolution des pratiques

Concernant l’acte d’achat, le panel a été interrogé sur ses différents critères de choix. Et les priorités qui en ressortent, pratiques, logistiques ou éthiques, reflètent fidèlement les tendances actuelles. 34% valorisent ainsi les matériaux naturels et la consommation responsable, tandis que 21% se penchent sur l’écoconception et le respect de l’environnement. 34% disent également préférer le made in France. Côté pratique, la livraison est une donnée importante aux yeux des consommateurs: 36% souhaitent la livraison à domicile, et 35% veulent une disponibilité rapide. Enfin, la modularité, la personnalisation, l’accessibilité ou des options précises telles que la lumière, les câbles ou les branchements intégrés sont autant de critères supplémentaires entrant en ligne de compte. Des données validées par Jean-Marc Barbier: «La société évolue, et l’ameublement doit s’adapter à ces changements. Le passage d’une société rurale à la vie urbaine a déjà énormément modifié les choses, et récemment les fabricants ont réagi au besoin de personnalisation et de flexibilité des nouveaux meubles. Les logiques, les modes de rangement changent au fil du temps et des populations. Il faut analyser les pratiques et les usages, par exemple la personne qui regarde la télévision pendant qu’elle fait son repassage, étudier les cycles des objets comme le linge – on se déshabille rarement dans la pièce où on le lave… Le vieillissement de la population est également un critère important.»

Entre fantasmes et réalités

Au-delà des besoins pratiques, l’étude s’attarde surtout sur les dimensions psychologiques et sociologiques du rangement chez les Français, «entre fantasmes et réalités». Car si 84% des personnes interrogées se perçoivent comme de nature ordonnée, et 71% déclarent préférer les intérieurs épurés, elles ne sont pourtant que 17% à être considérées comme des «pros du rangement» par l’étude, qui a identifié six profils types de Français dans leur relation au rangement (voir page précédente). Une perception contradictoire avec le motif principal déclenchant, selon le panel, l’acte de ranger: ils sont 40% à ressentir le besoin de ranger avant de recevoir des invités. La bonne opinion de soi reste donc toute relative face au regard des autres. Deuxième motif avancé, le sentiment d’être envahi par ses propres affaires. 87% des Français affirment se sentir beaucoup mieux après avoir rangé. Alors, le rangement, levier décisif du bien-être ? Peut-être, autant par le côté esthétique, pratique que personnel… Et Rémy Oudghiri de conclure en citant la fin de son étude: « Le rangement n’est pas tant un problème de solutions que de méthode et de prise de conscience. La sensibilisation au rangement nécessite un discours adapté, des recommandations d’ameublement, et des arguments ciblés selon le type d’habitat, mais aussi en fonction des différents profils de rangeurs. » Vaste programme.

Brice-Alexandre Roboam