Le studio MHNA se positionne comme un acteur incontournable de l’aménagement intérieur. Fondée par Marc Hertrich et Nicolas Adnet, l’agence multiplie les projets variés en France et de par le monde, tantôt confidentiels, tantôt spectaculaires, mais toujours avec le même objectif: créer des lieux d’exception mêlant esthétique, fonctionnalité, technique et poésie. Nicolas Adnet nous livre son point de vue sur l’évolution et les perspectives de l’agencement des espaces de restauration.

Au lendemain de la crise sanitaire, quels sont vos observations et vos constats pour le secteur de la restauration?

Je pense qu’en France, les aides ont été bien cadrées pendant la crise. Et c’est aujourd’hui que ceux qui n’étaient pas solides à la base traversent les vraies difficultés. En parallèle, l’inflation cumulée à un climat économicosocial particulier crée un contexte tendu. Prenons l’exemple de la formule du midi : si vous souhaitez consommer des produits qualitatifs, le prix est passé de 12-13 euros à 17-19 euros. La majeure partie de la population ne peut pas y consacrer un budget de 19 euros tous les midis. D’autre part, le service de livraison de repas à domicile ou au bureau a explosé. C’est une tendance qui a pris de l’ampleur pendant la crise sanitaire et qui, indirectement, tue la restauration.

En termes d’aménagement intérieur, avez-vous préconisé des idées pour faire revenir les clients ?

Il y a eu une période de réouverture, de réadaptation ou de réorganisation des espaces de restaurant. Aujourd’hui, lorsque nous recevons un nouveau projet, aucune ligne du cahier des charges ne demande de dessiner des vasques pour se laver les mains ou la disposition du gel hydroalcoolique. Pendant la pandémie, nous avions réfléchi à des vasques élégantes, comme on en voit souvent à l’entrée des restaurants italiens ou portugais. Mais les clients n’en veulent plus. Ils désirent oublier la crise sanitaire, qui a été un traumatisme, un choc.

Que recherche la clientèle d’aujourd’hui, et comment la capter ?

Il y a plusieurs types d’attente, qui varient selon le genre de restaurant. On constate chez les jeunes chefs une tendance à s’orienter vers une cuisine sophistiquée. Ils créent un nouveau type de cuisine gastronomique plus accessible en faisant redécouvrir des produits travaillés, mais pas dénaturés. Faire vivre l’expérience gustative et éveiller la curiosité… c’est travailler sur le mélange des produits et la découverte tout court. Avec plusieurs petits plats, la composition des menus déstructure le repas traditionnel. Je les décris comme une promenade gustative, on emmène les clients et on leur raconte des histoires sur les produits ou ceux qui les ont cuisinés. L’attente de la clientèle dans ce type de lieu, c’est d’être transportée, de découvrir autre chose. Plus philosophiquement, on constate également de nouvelles attentes liées aux valeurs du moment comme le développement durable, le circuit court ou le commerce équitable. L’équilibre est parfois difficile à trouver entre découverte, produits exotiques et valeurs morales… il faut l’aborder avec déontologie.

L’agencement doit donc suivre cette logique…

Certains restaurateurs souhaitent aussi l’exprimer à travers l’aménagement. Notre rôle, avec notre savoirfaire et notre expérience de plus de trois décennies, est de traduire leur cuisine et l’incarner dans un univers qui leur correspond. Que nos clients nous en fassent la demande ou que nous en soyons à l’origine, nous restons toujours force de proposition. Aujourd’hui, nous privilégions les produits labellisés et durables. Nous nous interdisons d’utiliser certains bois et placages dont l’exploitation est dangereuse pour la planète. Le cas s’est présenté lors d’un projet à Marrakech : nous souhaitions du cèdre, et nous avons finalement trouvé un équivalent en bois exotique en retravaillant la teinte. Même pour les produits industrialisés tels que la faïence ou le verre, nous privilégions le développement durable. Les clients finaux sont de plus en plus conscients de cette démarche. In fine, même économiquement, on retrouve une conscience positive.

Concrètement, comment cela se traduit-il lors de l’exécution des projets?

Cela peut être complexe. Par exemple, pour un projet en France, nous souhaitions utiliser un revêtement mural ignifugé en liège recyclé. Mais le bureau de contrôle a refusé qu’on ne l’utilise que sur 30 % de la surface comme prévu. Alors, plutôt que d’opter pour la facilité en choisissant un autre matériau moins écologique, nous avons repensé notre idée et réimaginé le concept pour pouvoir rester sur le produit initialement choisi. Cette conscience collective est tout à fait essentielle, dans la restauration ou l’hôtellerie comme dans tous les projets.

Quel est votre dernier projet livré?

Nous venons de livrer une nouvelle marque d’hôtel du groupe Hyatt, FirstName à Bordeaux. Le restaurant-bar Le Bada y brise le formalisme. Ouvert à la clientèle de l’extérieur, il propose une multitude d’espaces différents gravitant autour du bar central, qui se trouve être également la réception de l’hôtel. On laisse aux clients le choix de vivre l’instant dont ils ont besoin… Dans ce véritable espace de vie de 280 m2 sous une hauteur de 5,30 m, on se rencontre, on échange et on partage. C’est un espace totalement hybride, ancré dans la ville de Bordeaux en laissant entrer la nature, ses traditions, sa modernité, sa dualité terre et mer. Le bar a été conçu comme un objet sculptural dont le piètement est réalisé en chêne français, sculpté et brossé à la main par un artisan d’art, qui se pare de pixels de métal. Au centre, le cœur de béton est animé par une feuille d’or, tandis que le luminaire, conçu par Ingo Maurer et intitulé My New Flame, rappelle des bougies suspendues en utilisant un circuit imprimé comme élément décoratif. Nous avons créé un univers nouveau où la tradition s’associe avec la technologie, où le design permet d’inventer une poésie nouvelle. Aujourd’hui, les clients ne veulent plus de contraintes. Ils ne souhaitent plus qu’on leur impose les choses, mais qu’on leur propose des expériences nouvelles. Notre métier est de décrypter ces attentes et de les traduire en univers uniques.

Qu’entendez-vous par expériences nouvelles ?

J’utilise le mot expérience avec parcimonie. Parce que par définition, une fois vécue, l’expérience n’est plus la même la fois suivante, il n’y a plus la même surprise. Nous travaillons afin que les propositions puissent correspondre aux attentes fondamentales des gens. Il faut qu’ils aiment l’endroit, qu’ils s’y sentent bien. Il s’agit de créer un affect avec un lieu qui leur correspond : un jour, le client va venir seul et souhaite déjeuner ou snacker tranquille dans un coin ; le lendemain, il va s’installer autour d’une grande table avec ses amis pour pouvoir partager. Il faut correspondre aux valeurs de l’époque avec les racines du savoir-faire et de la tradition. Sur ce point, nous nous entendons bien avec certains jeunes chefs qui osent casser les codes. Nous devons cependant toujours veiller à intégrer les fondamentaux du métier: l’organisation, l’ergonomie, le fonctionnement… Dans la restauration, pour proposer un service de qualité, on peut toujours réinventer, mais en fin de compte on ne les changera pas fondamentalement. Notre métier est d’avoir les yeux dans les étoiles et les pieds sur terre. Posons-nous la question : pourquoi allons-nous au restaurant ? Pour nous offrir un moment privilégié. Tenir cette promesse exige qu’il y ait derrière un savoir-faire technique. L’organisation des flux, l’ergonomie, la création des stations ou des dessertes… tout doit être structuré. Si l’équipe n’a pas une bonne organisation adaptée, elle ne pourra pas bien travailler, donc elle ne pourra pas proposer un service de qualité, et fatalement, le client le ressentira. Si une fourchette tombe, le serveur doit en rapporter une dans l’instant. Mais s’il est obligé de traverser tout un couloir pour aller la chercher, cela implique une latence pouvant irriter le client. Même si l’identité du lieu est très forte, même si la cuisine est excellente, même s’il y a la bonne volonté de l’équipe… il faut parer tout mécontentement potentiel, savoir se remettre en question sur l’esthétique et entrer dans l’univers du client avec des bases techniques incontournables.

Privilégier l’ergonomie dans le service induit-il de réduire le nombre de places assises ?

Non, ce n’est pas obligatoirement lié. Vous pouvez avoir une certaine densité dans l’espace, mais il suffit d’être inventif pour que les gens ne se sentent pas les uns sur les autres. On constate d’ailleurs un paradoxe : les clients souhaitent le plus souvent être installés à la meilleure table, mais n’ont pas envie d’être seuls. Il existe des séparatifs pour gérer la densification. Ne serait-ce qu’un siège, par exemple, ou un ensemble de sièges plus hauts qui peut permettre de créer visuellement une sorte de salon. Il faut aussi savoir perdre un peu de place, pour une œuvre d’art ou autre… pour des éléments qui agissent comme marqueurs dans l’espace.

Et la partie cuisine?

Nous ne nous occupons pas directement de la cuisine en production. Nous travaillons avec des cuisinistes qui maîtrisent tous les aspects techniques. En revanche, ce que nous faisons assez régulièrement, c’est d’y prolonger notre recherche d’esthétisme. Parce qu’il n’y a rien de pire qu’une porte qui s’ouvre sur un laboratoire avec des lumières très froides, alors que vous êtes côté salle dans une ambiance complètement différente. Nous devons équilibrer cette transition. Nous collaborons très étroitement avec le chef, le cuisiniste, l’acousticien, l’éclairagiste qui nous conseillent techniquement, et nous associons le tout à notre créativité afin que les clients ne remarquent aucun aspect technique.

En quelques mots, comment résumez-vous le restaurant ?

Un restaurant, c’est également la lumière, l’acoustique et la sonorisation, qui sont des paramètres invisibles mais tout aussi importants que le décor. Si le restaurateur souhaite avoir autant de succès pour le service du midi que pour le soir, il faut qu’il sache faire basculer les clients dans un autre univers, en mixant l’éclairage architectural et décoratif par exemple.

Quelles sont les tendances à venir dans l’agencement d’espaces de restauration?

Nous allons continuer à cultiver l’esthétisme et l’attention. Cela nous demandera d’appréhender les projets avec plus de finesse. Aujourd’hui, les gens sont plus sensibles à des détails qui ne sont pas forcément liés au luxe. Nous maîtrisons les fondamentaux de notre métier et ce qui nous stimule, c’est de les remettre en question, d’aller rechercher des détails, du sens, l’origine des matériaux ou l’originalité… In fine, l’ADN de notre agence est de travailler dans l’esprit de la haute couture, car chaque projet restera sur mesure. Cette perspective nous pousse à aller aussi bien dans la direction de l’authenticité que dans celles de l’artistique, de l’artisanat ou du détournement. Avec une domotique plus poussée, les nouvelles technologies nous permettront des scénarii lumineux dépassant la simple programmation ou la variation. La technologie nous permet aussi de créer de la poésie.