«Le bois permet d’ouvrir le champ des possibles» 

Fondé en 2009 par Steven Leprizé, Arca (Atelier de recherche et de création en ameublement) est un atelier d’ébénisterie singulier qui ne cesse de créer, d’expérimenter et d’innover avec le bois, pour réinventer le métier en combinant la maîtrise des outils traditionnels, l’invention de nouvelles techniques et l’utilisation de matériaux innovants. Aujourd’hui, le savoir-faire d’Arca est au service des architectes d’intérieur, designers, éditeurs et marques pour réaliser aussi bien des projets uniques que de la production en série, sans oublier ses propres collections. Entretien avec un artisan d’art. 

«Le bois a des caractéristiques extraordinaires, notamment sa résistance mécanique par rapport à son poids.»

Alors que le monde de la construction cherche à devenir plus vertueux, que signifie pour vous le matériau bois, et quel est son intérêt ?

J’ai du mal à comprendre la montée en puissance de cet engouement de la société actuelle pour le bois, car il me paraît tout à fait logique de réfléchir à notre travail en tant qu’artisan d’art, d’une manière respectueuse et vertueuse. J’ai grandi à la campagne, en Bretagne, à l’entrée de la forêt de Brocéliande. Mon père possède la plus vieille scierie de France, il travaille entouré par ces vieilles machines qu’il a restaurées lui-même. Abattre, couper, scier du bois et fabriquer du mobilier… nous réalisions l’ensemble des opérations de la chaîne nous-mêmes. Autrefois, nous ne parlions pas de l’écologie comme aujourd’hui et nous avons oublié qu’il y a si peu de temps, nous cultivions et fabriquions essentiellement ce dont nous avions besoin : nous étions tous des artisans. Donc je suis surpris de cette soudaine mise en lumière des métiers d’art. Par ailleurs, je suis fier de travailler le bois, cette matière qui repousse vite. Il a des caractéristiques extraordinaires – notamment sa résistance mécanique par rapport à son poids, ce qui permet d’ouvrir le champ des possibles. Le bois est unique, chaleureux et passionnant à travailler. 

 

Comment travaillez-vous le matériau bois, et comment êtes-vous amenés à innover dans son utilisation ?

Nous travaillons essentiellement avec des bois européens ou locaux selon les chantiers, toujours issus de forêts écogérées labellisées PEFC. Ensuite, cela dépend du projet et de sa complexité. Par exemple, dans le cadre d’un projet de villa en Belgique, j’ai eu carte blanche de la part du client pour la réalisation d’un escalier d’intérieur. Toute la base est en impression 3D en béton, et le limon central est en acier. Les marches, l’estrade et les paliers ont quant à eux été réalisés avec l’arbre qui était présent sur le site : nous avons réemployé le bois abattu sur le chantier. Ce type de démarche n’est pas si courant, mais c’est un exercice très intéressant. Dans un autre contexte, avec l’agence d’architecture et d’intérieurs AW2 basée à Paris, nous avons réalisé le plafond de l’entrée et celui de la piscine pour le complexe hôtelier Six Senses de Crans-Montana en Suisse. Il fallait trouver du bois qui résiste à l’humidité, à la fois léger et de la couleur que le client désirait. Nous avons assez rapidement fait le choix du peuplier, peu cher, léger. Cet arbre pousse rapidement; son bois va subir un traitement de rétification (procédé non chimique au cours duquel il est mis dans un four et cuit très lentement à haute température) qui permet d’empêcher l’humidité de pénétrer dans le matériau. Toujours en collaboration avec l’agence AW2, nous avons mis en œuvre une réalisation d’aménagement authentique pour le restaurant MamaSens à Paris, dont chaque panneau de bois courbé présente une forme différente. Nous avons finalement réussi à courber le bois sans moule, car réaliser un moule pour des pièces uniques coûte excessivement cher et consomme beaucoup de matière. Cette contrainte nous a poussés à trouver des solutions et à mettre au point une technique de bois thermoformable, un panneau sandwich composé de PET plaqué de bois. En termes de pro- duction, l’ensemble de l’énergie consommée, le CO2 dégagé ainsi que la recyclabilité de la matière – même en ayant une âme réalisée en plastique – s’inscrivaient dans une démarche écoconçue. Aujourd’hui, nous avons poussé encore plus loin le processus et nous avons réussi à remplacer le PET par une âme biodégradable. Composé de chanvre et de liège, ce panneau, qui était jusqu’alors dédié à des marchés de niche tels que l’habillage d’intérieurs de voitures ou des emballage, est pro- duit par une entreprise bretonne. Celle-ci s’est rapprochée de nous pour développer le potentiel de ses innovations dans les secteurs du mobilier et de l’agencement. 

 

« Le bois n’a pas la même connotation précieuse que la pierre, le verre ou le métal. Nous nous interdisons d’utiliser les bois précieux »

En tant qu’ébéniste, quels sont les efforts à fournir pour pouvoir collaborer avec les industries et la filière bois ? 

Le bois n’a pas la même connotation précieuse que la pierre, le verre ou le métal. Nous nous inter- disons d’utiliser les bois précieux. D’ailleurs, ils ne passeraient plus la frontière une fois transformés en marchandise. En fonction de la situation ou de l’avancée des projets, nous vendons nos prestations ou bien nous achetons des matériaux. Souvent, les projets se développent à l’occasion de rencontres interprofessionnelles. Par exemple, nous avons été sollicités par une marque de cosmétiques à base de chanvre, qui a souhaité travailler en partenariat avec nous et nous a mis en relation avec l’industrie qui transforme cette matière. Autre opportunité avec l’entreprise Scale, qui conçoit ses panneaux de Scalite à partir d’écailles de poissons. Elle nous a envoyé des échantillons pour effectuer ensemble de la Recherche & Développement. In fine, le sujet à creuser avec tous ces acteurs, c’est la prise de conscience concernant le change- ment climatique. J’espère simplement qu’il ne sera pas trop tard.

 

Quels sont vos prochains défis en rapport avec le bois ?

Aujourd’hui, les industries du luxe essaient de mettre en valeur le matériau bois, donc nous avons notre carte à jouer. Pourtant, un paradoxe persiste : ce secteur veut valoriser le bois, mais pas n’importe lequel. Ses décideurs ont du mal à accepter le bois aggloméré issu des chutes, le chanvre ou le bois peu cher. Je pense que nous sommes en train de traverser une période de transition pour accepter le ready-made ou l’upcycling. Tant que les clients finaux n’auront pas accepté ce fait, nous ne pourrons pas avancer. C’est la raison pour laquelle nous démarchons aussi par le biais de la création et du design afin de diffuser nos compétences et nos savoir-faire. Parallèlement, nous sommes très sollicités à l’occasion d’événements ou de réunions politiques pour établir une conscience collective à partir de discussions sur l’usage des matériaux. Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour pouvoir réparer les bêtises humaines.

« On ne peut pas imprimer du bois, mais on peut l’usiner avec des machines très sophistiquées.»

Selon l’évolution de la conjoncture, comment pensez-vous l’utilisation du bois dans le futur ?

Dans l’idéal, les bois utilisés devraient être issus de forêts plus proches du lieu de production, nécessiter de moins en moins d’intermédiaires, et mobiliser des moyens techniques assez basiques pour les véhiculer et les transformer. Parallèlement, les équipements complexes tels que les machines numérique vont coûter de moins en moins cher, et la qualité esthétique devient donc plus accessible. On ne peut pas imprimer du bois, mais on peut l’usiner avec des machines très sophistiquées. Depuis 2016, nous cofinançons une thèse sur la projection plasma sur le bois (un système de canon envoie des particules de métal ou de céramique à l’état de fusion, ce mélange de gaz à très haute vitesse crée un halo au moment de la projection en déposant des nanoparticules sur la surface), à l’école des Mines de Paris. L’enjeu est d’optimiser la quantité de matière primitive ou fossile utilisée, comme la céramique ou les métaux. Cette expérience permet de réaliser par exemple un mobilier en bois massif revêtu d’une couche d’aluminium extrêmement fine pour être lessivable plus facilement. On peut aussi y intégrer la conductibilité électrique en déposant du cuivre. Nous sommes fiers d’être précurseurs avec cette thèse, car ce type de recherche assurera certainement un avenir plus prometteur au bois.