L’auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique est sans conteste l’un des plus beaux exemples de prise en compte de la performance acoustique. Dans un tel lieu, une profonde réflexion sur le son n’est plus seulement requise, elle devient fondamentale. Retour sur la science de l’acoustique à travers cette réalisation d’exception et le témoignage de Marc Quiquerez, senior consultant chez Nagata Acoustics.

C ’est un projet hors du commun qui, près d’une décennie plus tard, fait toujours office de modèle. Remportée par le groupement de maîtrise d’œuvre Architecture Studio et Jacobs, la réhabilitation de la Maison de la Radio et de la Musique s’est déroulée en cinq phases et quatorze années de travaux. L’auditorium de 6200 m2 a été bâti à l’emplacement des anciens studios 102 et 103, et son architecture acoustique a été gérée par Marc Quiquerez.

Un spécialiste international

L’entreprise Nagata Acoustics est experte dans son domaine. Elle a été fondée en 1971 au Japon par Minoru Nagata, qui a longtemps œuvré en tant que chercheur acousticien au laboratoire de la NHK (Compagnie de diffusion du Japon, le service public nippon). On en était alors aux prémices de l’acoustique architecturale et de l’intervention acoustique spécialisée dans la conception des bâtiments industriels, des bureaux ou des écoles – il est effet relativement récent de faire appel à de véritables spécialistes, et de ne plus attendre du seul architecte la maîtrise de tous les sujets et autres réglementations spécifiques. Le premier bureau international a été ouvert à Los Angeles en 2001, suivi de la succursale européenne en 2008 à Paris. Nagata Acoustics avait néanmoins rejoint le projet de la Maison de la Radio dès 2005.

Créer une salle de concert de 1500 places

La société nippone a d’ailleurs fait des salles de musique à acoustique naturelle – c’est-à-dire sans recours à des micros ou à des haut-parleurs pour transmettre les ondes sonores – son cœur d’activité. Le son est porté par l’architecture du lieu, et les seuls micros présents ne servent qu’à l’enregistrement. Marc Quiquerez résume : «Un des rôles de l’acousticien est de faire le lien entre l’équipe de conception architecturale et les futurs utilisateurs.» Les contraintes du site définissent évidemment les faisabilités. Ici, le programme établi par le client était de créer une salle de concerts symphoniques de 1500 places pour accueillir les grands orchestres de la Maison de la Radio. Fin 2006, l’équipe a réalisé des tests acoustiques sur une maquette à l’échelle 1/10 en y intégrant des micros et des haut-parleurs permettant de mesurer des informations, et ainsi de finaliser la conception morphologique et le choix des matériaux en conséquence. Une modification de l’installation de l’orgue a néanmoins entraîné une diminution de la jauge de 1500 à 1461 places

Chaussures ou vignoble?

Il existe deux typologies principales de salle : la typologie dite «boîte à chaussures», qui est le modèle historique des grandes salles de la fin du XIXe et du début du XXe siècles, traditionnellement rectangulaire, avec une relation frontale entre la scène et le public ; et la typologie en «vignoble», plutôt enveloppante, à la forme plus libre. Marc Quiquerez détaille : «Rien n’empêche une salle en parallélépipède d’avoir une scène entourée de public, ni une salle avec des gradins plus découpés d’avoir une scène frontale. Il suffit de changer de proportions. L’une ou l’autre géométrie n’impose pas une relation frontale ou enveloppante. Cependant, il n’est pas possible d’isoler l’acoustique de tous les autres paramètres à prendre en compte dans l’expérience du concert. La vraie différence va surtout résider dans la relation du public à l’orchestre plutôt que dans le choix d’une forme de base.» La perception de la proximité entre l’orchestre et le public crée l’intimité. La typologie de la boîte à chaussures, plus allongée et plus étroite, ne permet d’obtenir de grandes jauges qu’en éloignant graduellement les spectateurs de la scène : chaque siège rajouté le sera de plus en plus loin de la scène. Les murs latéraux, plus proches du public dans une salle étroite, offrent ainsi des réflexions acoustiques. Quid de la configuration en vignoble alors ? Comment cumuler grande jauge et réflexions acoustiques dans une typologie enveloppante, en augmentant les dimensions – et notamment la largeur? En créant «simplement» des petits murs entre les blocs de public, qui remplissent leur fonction acoustique en restant proches des spectateurs. Selon la configuration, on ne va pas entendre l’orchestre de la même façon si l’on est assis en face ou de côté – de même que chacun peut privilégier un positionnement plus proche des violoncelles ou des cuivres. Une salle enveloppante n’est pas contradictoire avec une salle frontale: l’objectif n’est pas de changer de paradigme, mais de parvenir à faire fonctionner une salle plus vaste. La Philharmonie de Berlin s’était, dès 1963, interrogée sur cette problématique : comment créer un espace plus grand sans pour autant que le dernier siège se situe à 60 mètres au fond de la salle ?

Une expérience musicale et sociale nouvelle

Les gradins de l’auditorium de la Maison de la Radio sont structurés par l’empilement vertical de balcons en raison des contraintes liées à la taille du site – à l’opposé des philharmonies de Berlin ou de Copenhague, où ils s’étendent à l’horizontale. La scène symphonique, qui mesure 20 mètres de large sur 15 mètres de profondeur, occupe donc près de la moitié de la surface disponible. Point exceptionnel: la distance du public à la scène, toujours très réduite grâce au design vertical et compact. Le siège le plus éloigné du chef d’orchestre se trouve à 17 mètres; par comparaison, les pupitres de cordes de chaque côté de la scène sont plus éloignés l’un de l’autre que de n’importe quel auditeur de la salle. L’autre point spectaculaire, qui contribue au ressenti de proximité et d’intimité, réside dans cette multiplicité de petits blocs et balcons, profonds de quelques rangs seulement. D’après les calculs, environ 25% des places se trouvent ainsi au premier rang. «La distance physique est une chose, mais l’impression d’être plus proche est au moins aussi (si ce n’est plus) importante », insiste Marc Quiquerez. C’est également le rôle du concepteur du lieu que d’offrir un cadre dans lequel on peut non seulement profiter de la musique de façon traditionnelle, mais aussi la découvrir dans une configuration nouvelle à laquelle personne n’avait pensé. Le partage de la salle en vignoble entre ses différents occupants est important: il n’y a pas uniquement les musiciens dans le champ de vision des spectateurs, mais aussi d’autres auditeurs qui profitent du même moment. C’est une expérience sociale qui enrichit la perception du concert.

Individuel et collectif

Mais si la proximité favorise le lien acoustique direct entre la scène et l’auditeur, cela ne vaut pas pour l’intégralité du fonctionnement de la salle. En effet, avant même le travail sur le son, la capacité des musiciens à s’entendre individuellement et collectivement sur scène est la donnée principale. C’est une façon de les mettre en confiance : ils n’ont pas besoin de forcer ou de batailler contre l’acoustique de la salle, comme dans des lieux mal adaptés. «Notre mission est de travailler la notion de bonne écoute individuelle afin que chaque musicien soit capable d’entendre ce qu’il fait et d’avoir une bonne communication avec l’orchestre sous la houlette du chef. C’est effectivement cela qui est transmis au public. Car l’acoustique n’existe pas tant qu’il n’y a pas de musique sur scène. Mettre les musiciens dans une situation optimale pour leur permettre de créer de la meilleure musique, c’est peut-être même ce qui vient en premier!»

Réflexion précoce

La morphologie architecturale demeure primordiale. Il faut définir en amont l’emplacement des surfaces réfléchissantes acoustiques au sein du public et leur orientation en cohérence avec les dimensions de la scène. Mesurer la réverbération (le temps que met un son à disparaître progressivement) est relativement facile. C’est une grandeur assez statistique, mais pas qualitative dans la mesure où, par définition, elle reste homogène dans la salle. L’expérience acoustique est, elle, naturellement différente. La réflexion précoce (qui participe à la clarté du son et à la bonne compréhension de l’articulation du son de chaque pupitre) parvient à l’auditeur très rapidement après le son direct (qui est identique à la ligne visuelle directe). Cette différence de temps est un critère important: la réflexion précoce met au maximum 80 à 90 millisecondes (0,08-0,09 seconde) pour parvenir à l’auditeur. Plus ce délai est court, moins le système auditif du cerveau va le traiter comme une information distincte. Ce qui permet d’accentuer le sentiment de proximité.

Matériaux et reverberation

Le temps de réverbération est plutôt lié aux matériaux de la salle, qui doivent être durs et réfléchissants pour ne pas atténuer l’énergie sonore et permettre au son de rebondir sur leur surface. Le volume et les dimensions sont évidemment à prendre en compte : le temps de la réverbération est le ratio entre le volume en m3 de la salle et les propriétés absorbantes des surfaces.

Les fondamentaux des matériaux sont ainsi discutés très tôt, et s’affinent au fur et à mesure du travail de l’architecte. L’acousticien va vouloir des surfaces très dures, rigides et massives pour qu’elles soient réfléchissantes, dans les hautes comme dans les basses fréquences. Pour l’acoustique, c’est la densité surfacique qui est importante; et la masse acoustique peut être travaillée avec différents types de matériaux pleins et rigides en augmentant leur épaisseur. À la Maison de la Radio et de la Musique, les éléments suspendus au plafond pèsent 100 kg/m2 ; sur les parois, autour de 50 kg/m2 . Le travail de différentes essences de bois en placage est avant tout un travail visuel et esthétique, qui permet d’accentuer le ressenti des auditeurs; en fait, la masse acoustique de l’auditorium est composée de gypse fibreux et de medium.

À bon entendeur…

Et Marc Quiquerez de conclure: « In fine, lorsque la salle est achevée et que l’on entre en phase de tests, nous jugeons par nos oreilles avec les musiciens et les utilisateurs, et non avec des outils informatiques. Une nouvelle salle, c’est un nouvel environnement qu’il faut apprivoiser. Des principes mis en œuvre en conception ne sont pas forcément naturels pour les musiciens. Il est parfois difficile de se les approprier tout de suite. On dit souvent que la salle s’améliore avec le temps, de la période d’apprentissage à la symbiose entre l’orchestre résident et le lieu. Cet auditorium est assez spécial parce qu’il est extrêmement compact; notre perception est presque celle d’une acoustique de salle de répétition: on est tellement proche de la scène que l’on est quasiment immergé dans le son de l’orchestre.»