C’est sans doute l’une des opérations les plus ambitieuses de l’année 2022. Livré voici environ un an, le siège de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris a pris ses nouveaux quartiers à l’hôpital Saint-Antoine. Retour sur une réalisation d’exception avec Christelle Choï, directrice du projet. 

Une première. Cent soixante-dix ans après sa création, le siège de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) a déménagé. Comme un symbole de la politique de transformation de l’AP-HP initiée en 2018 par Martin Hirsch, son directeur général, le nouveau siège est installé au cœur même de l’hôpital Saint-Antoine, dans le XIIe arrondissement de Paris. Un changement majeur: jusqu’alors les équipes étaient réparties sur deux sites, avenue Victoria et rue Saint-Martin dans le IVe arrondissement.  

Conçu comme une ville dans la ville par l’agence d’architecture Chartier-Dalix et réalisé par l’entreprise CBC, filiale de Vinci, le bâtiment s’étend sur près de 10000 m2 répartis en huit étages, agrémentés d’un jardin de 1000 m2 et d’une toiture végétalisée. Ce nouveau siège, livré en mai 2022, est occupé depuis septembre dernier. Christelle Choï, directrice du projet pour l’AP-HP, revient pour nous sur l’aménagement de cette réalisation hors normes, lauréate de l’Équerre d’argent 2022. 

Quels étaient les enjeux de ce radical changement de locaux?

Le projet Nouveau Siège a été annoncé en janvier 2018 par le directeur général de l’AP-HP. Avec un double enjeu. Tout d’abord stratégique, dans un contexte de refonte de la gouvernance du plus grand hôpital universitaire d’Europe, comptant 100000 collaborateurs. Le siège de l’AP-HP a voulu redonner plus de marges d’autonomie à ses hôpitaux réunis en six groupes hospitalo-universitaires (GHU), et s’est dans le même temps recentré sur ses missions de stratégie, de pilotage et d’expertise. D’autre part organisationnel: pour répondre à ses nouvelles missions, le siège a mis en place une organisation fondée sur la transversalité, l’ouverture sur l’extérieur et la proximité avec l’activité hospitalière. 

Décrivez-nous les inconvénients du précédent siège.

Installés dans deux bâtiments de type haussmannien, les anciens locaux comprenaient une forte proportion de bureaux individuels (46% de bureaux individuels et 54% de bureaux collectifs). Éclatés entre différents espaces, cloison- nés, les services bénéficiaient d’une faible quantité de petits espaces de réunion, souvent situés dans les bureaux indivduels non «mutualisés», et de salles de réunion plus grandes mais éloignées des équipes. Le ratio de places de réunion par poste installé était donc très faible (inférieur à 0,5 place par agent), et les ratios de m2 par agent très inégalitaires. S’étendant sur plus de 20000 m2, ces locaux n’étaient en outre plus en phase avec les exigences environnementales actuelles et les standards en termes de qualité de vie au travail. Leur exploitation entraînait un coût annuel élevé, sans perspectives d’amélioration notable en l’absence d’investissements lourds et de travaux complexes. Ce bilan était d’autant plus défavorable que de nombreux m2 étaient inoccupés.

Comment ont été réfléchies l’organisation des flux, la répartition, ou encore la distribution des espaces?

Contrainte par des enjeux de délais (libération des anciens locaux en septembre 2022) et fortement impactée par la crise sanitaire, la gestion de projet a mis en place une coopération très resserrée avec l’entreprise de construction et l’architecte afin de permettre aux travaux de se poursuivre tout en pro- posant à l’ensemble des collaborateurs, quel que soit leur niveau hiérarchique, un accompagnement à la transformation à la hauteur du changement culturel que représentait le passage de bureaux cloisonnés à des espaces ouverts et partagés. Cette volonté s’est matérialisée par l’organisation de nombreux temps d’échange, d’information et de travail avec les équipes sous différents formats: cycles de séminaires avec l’encadrement; ateliers en distanciel ouverts à tous les collaborateurs pour aborder sans restriction les craintes issues du projet et la projection dans les nouveaux espaces de travail (confidentialité, exposition, télétravail, mobilité…); visites de chantier et d’un espace témoin meublé; et enfin visites des quartiers de travail meublés à l’aide de la réalité virtuelle.

Comment l’organisation a-t-elle évolué en fonction du télétravail?

La crise sanitaire a induit un développement imprévu du télétravail, obligeant l’équipe projet à revoir les modalités d’accompagnement et à mettre en place des formats de travail collectif inédits tels que des ateliers en distanciel avec une maquette filmée par l’architecte, des jeux de plans avec collage des mobiliers, etc. Plus fondamentalement, le télétravail a profondément changé le rapport des agents à leur lieu de travail et fait évoluer très rapidement les usages, notamment en termes de dématérialisation des dossiers. Ces facteurs ont été intégrés dans les travaux d’accompagnement conduits auprès des agents et, rétrospectivement, ont sans doute facilité l’acceptation de nouvelles conditions de travail.

Concrètement, de quoi se compose ce nouvel édifice?

Au total, tous les agents ont été mis en situation de pouvoir participer aux travaux d’aménagement des espaces communs et de travail. L’ensemble de ces dispositifs a permis une co-conception des aménagements des plateaux de travail répondant aux spécificités des activités de chaque direction, tout en préservant les fondamentaux du projet:

  • sept plateaux de 1000 m2
  • 100% des postes de travail en premier jour;
  • quatre quartiers de travail en espaces partagés, sans bureaux individuels
  • onze salles de réunion par étage
  • une plateforme d’échange commune sur chaque étage
  • deux locaux copieurs par plateau.

Pourquoi avoir choisi cette implantation au sein d’un hôpital?

Doté d’une organisation plus agile et plus réactive, le siège de l’AP-HP se recentre sur ses missions stratégiques en lien avec les groupes hospitalo-universitaires (GHU), et favorise la collaboration et la transversalité entre les directions. L’installation au cœur de l’hôpital Saint-Antoine, au contact direct des professionnels de santé et des patients, traduit l’ambition de proximité portée par l’AP-HP. Le bâtiment est plus ouvert sur l’extérieur pour faciliter les échanges avec la communauté hospitalière. Il propose notamment de nombreux espaces communs accessibles aux personnels de l’AP-HP: un auditorium de 120 places, un espace de restauration et de convivialité de 130 places doté d’une terrasse, deux salles d’ins- tances, des espaces de travail collaboratifs, ainsi qu’un jardin paysager ouvert à l’ensemble des professionnels de l’hôpital Saint-Antoine. Un siège pour partager et rassembler en somme… Plus fédérateur et convivial, le siège à l’hôpital Saint-Antoine représente pour les équipes de l’AP-HP une opportunité d’initier de nouvelles façons de travailler plus collaboratives. La forme triangulaire de la construction est adaptée à une organisation plus transversale, plus lisible. Les huit étages de bureaux ouverts ont été conçus pour favoriser les échanges et la mixité des compétences. Ils permettent de rassembler au sein d’un même bâtiment des équipes auparavant éclatées, facilitant ainsi la mise en œuvre de projets communs.

Et les contraintes environnementales?

Confortable, économe en énergie et fonctionnel, le bâtiment a embrassé une démarche environnementale globale en exploitant les caractéristiques naturelles du site. Il concilie les impératifs de confort et de santé au travail, la maîtrise des coûts d’exploitation et l’intégration dans un site déjà densément construit. La construction a adopté une approche bioclimatique en bâtissant les trois orientations les plus solarisées. Le bâtiment ne présente pas de linéaire de façade exposé plein nord, ce qui permet de maximiser les apports solaires. De surcroît, il est implanté en recul des bâtiments environ- nants afin de développer un cœur d’îlot vert. Il a obtenu la certification HQE – n° 12294 niveau global excellent pour les volets Conception et Réalisation. Il a également obtenu le label E2C1 en 2023 grâce à ses ambitieux objectifs de performance environnementale.

Quels sont les ressentis de vos collaborateurs depuis leur arrivée dans leurs nouveaux locaux?

Différentes modalités d’évaluation de la qualité des espaces et du ressenti des agents ont été mises en place. Tout d’abord, une enquête a été conduite un mois après l’emménagement auprès de l’ensemble des collaborateurs. Sur les 35% de répondants, il en ressort un bon niveau de satisfaction sur le bâtiment lui-même puisque 30% d’entre eux saluent son esthétique. Parmi ceux qui se sont exprimés sur les espaces de travail, plus de 82% émettent un avis positif. Les sujets les plus fréquemment évoqués dans les commentaires sont relatifs:

  •  aux aspects pratiques de la vie dans le bâtiment (95% des répondants)
  • à l’ambiance (près de 74%); • aux problématiques de bruit et de concentration (53%)
  • à l’informatique et à la téléphonie (48%)
  • ont fait l’objet de commentaires de moins de deux agents sur dix les sujets de qualité/confort du travail, des services, de la cantine et de la connectique (badges)
  • l’item de la confidentialité est un point d’attention pour 9% des répondants
  • celui de l’allongement du temps de transport est mention- né par 3,5% des agents (6 agents sur les 175 répondants)

L’open space et, de façon associée, la problématique de la confidentialité, étaient des points d’inquiétude pour de nombreux collaborateurs préalablement à l’emménage- ment. Il ressort de l’enquête que l’open space, aujourd’hui vécu dans les faits, est un sujet d’attention d’un agent sur deux parmi ceux qui ont répondu. La confidentialité en revanche est un sujet de préoccupation pour moins d’un agent sur dix en moyenne. La connectivité, la domotique, et particulièrement l’infor- matique et la téléphonie ressortent comme des points sail- lants, à améliorer. À l’issue de l’enquête, un plan d’action a été mis en place. Afin d’objectiver les ressentis, une prestation de mesure des ambiances de travail a été mise en place en mars 2023. Des capteurs ont ainsi été positionnés dans différents espaces du siège pour mesurer le niveau sonore, la concentration de CO2 , la luminosité, l’hygrothermie… La restitution des résultats est susceptible de donner lieu à un autre plan d’action.