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Habitat
January 16, 2025

À l’heure de l’habitat raisonné

À l’heure de l’habitat raisonné

L’habitat est le prolongement de soi, essentiel à la survie physique et mentale. Sa fonction première est de protéger, des intempéries et du monde extérieur, mais aussi de permettre de se retrouver, de se définir, d’être pleinement soi audelà de sa propre enveloppe. Sans habitat, sans abri, on a tendance à oublier qui l’on est. Je pense au mot « déboussoler » : sans boussole pour rentrer chez soi, on est sans repère. Selon moi, l’habitat n’a pas de forme prédéfinie, c’est un concept tout à fait personnel et culturel. Pour certains, il peut résider dans un sac à dos ou une tente nomade. Toutefois, le point commun à toutes les formes d’habitat est le principe de délimitation de l’espace, la création d’une cellule protectrice à notre échelle : le nid de l’oiseau, la tanière de l’ours… L’unité de mesure de l’habitat, c’est nous. "Le point commun à toutes les formes d’habitat est le principe de délimitation de l’espace."

C’est un projet réalisé pour l’artiste Sarah Valente, intégralement sur mesure, jusqu’à la poignée de porte. Elle a souhaité une habitation hybride, lieu d’expérimentation artistique, de rencontre, d’exposition – sans oublier son rôle de résidence –, respectueuse des enjeux écologiques de notre époque. C’est dans cet esprit que nous avons proposé une façade en terre crue et en inox, qui a guidé le choix des matériaux en intérieur. Des intérieurs colorés de teintes chaudes et naturelles avec des dégradés de beige et de brun, et l’utilisation de plusieurs bois et travertins. Les détails, comme ceux de la façade, sont chromés pour relier l’ensemble par un fil conducteur. La maison est composée de cinq niveaux évolutifs, pour une superficie de plus de 400 m2. Le sous-sol indépendant, doté d’équipements sonores, d’un système d’enregistrement et d’un bar, peut servir de lieu de réception ; le rez-de-chaussée est dédié à l’atelier de Sarah Valente et au bureau du fonds de dotation qu’elle a créé, Greenline Foundation ; le premier étage est réservé à de futurs artistes résidents ; enfin, les deux niveaux supérieurs sont privés et agrémentés d’une toiture-terrasse. Plus on monte, plus les espaces deviennent privatifs. La déambulation en vertical provoque un véritable effet d’ascension vers la lumière.

À vrai dire, ce n’était pas la partie de la maison qui importait le plus, car il y a très peu de portes, l’escalier est aérien et suspendu, comme une cabane. Seul le sas d’entrée, qui se situe au premier étage, vient recloisonner le volume plus animé du rez-de-chaussée. Par ailleurs, le parti pris de fluidité ou d’interconnexion des espaces, comme dans les chambres destinées aux artistes résidents, cherche à susciter des interactions inhabituelles, notamment par le biais de portes coulissantes par exemple.

Lorsque l’on travaille l’habitat d’un particulier, tout est personnalisé. Ici, l’ensemble des menuiseries encastrées et les revêtements ont été réalisés en bouleau teinté, et même les veinages ont été mis en valeur. Les murs ont été peints avec des enduits à la chaux dans une teinte terre et sable clair. Dans les salles de bains, nous avons utilisé trois nuances de travertin. Un peu partout dans la maison, cette pierre naturelle se décline dans des meubles sur mesure : la bibliothèque de l’atelier, la banquette du salon ou le vaisselier de la cuisine. Les finitions et les détails chromés viennent contraster avec les matières et les teintes naturelles. Nous avons aussi créé une série de meubles comme les bibliothèques, le bureau, la cuisine ou les têtes de lit, aux formes organiques et aux essences variées, en collaboration avec les artistes Victor Rossi pour le mobilier et les marqueteries, et Alice Ricard pour certaines marqueteries figuratives illustrées de plantes et d’animaux.

La variété des artisans intervenus sur le projet et l’attention portée aux détails nous ont permis d’envisager l’art et le rapport à l’ornement comme parties intégrantes de l’architecture. Ce sujet de l’ornementation est important. Par exemple, pour un immeuble du XIVe arrondissement de Paris, nous avons voulu raconter l’histoire du lieu. Au-delà d’une fresque sur la partie commune, nous avons eu l’idée de faire créer par des artistes des crédences dans les salles de bains, et de graver la pierre au nom de l’immeuble (qui abrita un célèbre club de travestis). Il s’agissait de reconnecter le lieu à son histoire, de valoriser la générosité du détail et du travail à la main, comme dans les immeubles haussmanniens.

Il est certain que les projets de logements comportent énormément de contraintes en termes d’espace et de coût, il va donc falloir trouver des astuces. Par exemple, on essaie d’élargir le couloir non seulement pour le passage, mais aussi pour y agencer une alcôve et créer un coin pour travailler. Pour un immeuble à Annemasse, nous avons évoqué l’idée d’un espace de coworking au rez-de-chaussée, destiné aux résidents. Ce type  de nouvelle proposition va forcément se généraliser, mais il faut bien designer la fonction d’un espace pour ne pas tomber dans l’erreur d’une salle multiusage qui ne servira finalement à rien. L’architecte doit être force de proposition. En fin de compte, on s’approprie plus facilement les espaces qui sont personnalisés. Créer un espace commun dans un immeuble permet aussi bien de tisser du lien social entre les habitants que de développer la philosophie participative.

Il reposera – entre autres – sur une meilleure connaissance de l’écologie comme science de l’habitat. En replaçant la notion de frugalité au centre des logiques constructives, aussi bien dans le choix des matériaux que dans la gestion de l’énergie ou celle de la technicité du bâtiment, on reconnecte l’intelligence primaire et essentielle de l’architecture aux usagers. On se dirige vers des habitations basse consommation, dont les occupants sont les acteurs impliqués. "Envisager l’art et le rapport à l’ornement comme parties intégrantes de l’architecture."

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