{"id":119241,"date":"2023-10-23T14:16:27","date_gmt":"2023-10-23T12:16:27","guid":{"rendered":"https:\/\/l-agenceur.com\/?p=119241"},"modified":"2023-10-26T00:40:14","modified_gmt":"2023-10-25T22:40:14","slug":"immersion-dans-le-son-a-la-maison-de-la-radio-et-de-la-musique","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/l-agenceur.com\/2023\/10\/23\/immersion-dans-le-son-a-la-maison-de-la-radio-et-de-la-musique\/","title":{"rendered":"Immersion dans le son \u00e0 la Maison de la Radio et de la Musique"},"content":{"rendered":"

L\u2019auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique est sans conteste l\u2019un des plus beaux exemples de prise en compte de la performance acoustique. Dans un tel lieu, une profonde r\u00e9flexion sur le son n\u2019est plus seulement requise, elle devient fondamentale. Retour sur la science de l\u2019acoustique \u00e0 travers cette r\u00e9alisation d\u2019exception et le t\u00e9moignage de Marc Quiquerez, senior consultant chez Nagata Acoustics.<\/p>\n

C \u2019est un projet hors du commun qui, pr\u00e8s d\u2019une d\u00e9cennie plus tard, fait toujours office de mod\u00e8le. Remport\u00e9e par le groupement de ma\u00eetrise d\u2019\u0153uvre Architecture Studio et Jacobs, la r\u00e9habilitation de la Maison de la Radio et de la Musique s\u2019est d\u00e9roul\u00e9e en cinq phases et quatorze ann\u00e9es de travaux. L\u2019auditorium de 6200 m2 a \u00e9t\u00e9 b\u00e2ti \u00e0 l\u2019emplacement des anciens studios 102 et 103, et son architecture acoustique a \u00e9t\u00e9 g\u00e9r\u00e9e par Marc Quiquerez.<\/p>\n

Un sp\u00e9cialiste international<\/strong><\/p>\n

L\u2019entreprise Nagata Acoustics est experte dans son domaine. Elle a \u00e9t\u00e9 fond\u00e9e en 1971 au Japon par Minoru Nagata, qui a longtemps \u0153uvr\u00e9 en tant que chercheur acousticien au laboratoire de la NHK (Compagnie de diffusion du Japon, le service public nippon). On en \u00e9tait alors aux pr\u00e9mices de l\u2019acoustique architecturale et de l\u2019intervention acoustique sp\u00e9cialis\u00e9e dans la conception des b\u00e2timents industriels, des bureaux ou des \u00e9coles \u2013 il est effet relativement r\u00e9cent de faire appel \u00e0 de v\u00e9ritables sp\u00e9cialistes, et de ne plus attendre du seul architecte la ma\u00eetrise de tous les sujets et autres r\u00e9glementations sp\u00e9cifiques. Le premier bureau international a \u00e9t\u00e9 ouvert \u00e0 Los Angeles en 2001, suivi de la succursale europ\u00e9enne en 2008 \u00e0 Paris. Nagata Acoustics avait n\u00e9anmoins rejoint le projet de la Maison de la Radio d\u00e8s 2005.<\/p>\n

Cr\u00e9er une salle de concert de 1500 places<\/strong><\/p>\n

La soci\u00e9t\u00e9 nippone a d\u2019ailleurs fait des salles de musique \u00e0 acoustique naturelle \u2013 c\u2019est-\u00e0-dire sans recours \u00e0 des micros ou \u00e0 des haut-parleurs pour transmettre les ondes sonores \u2013 son c\u0153ur d\u2019activit\u00e9. Le son est port\u00e9 par l\u2019architecture du lieu, et les seuls micros pr\u00e9sents ne servent qu\u2019\u00e0 l\u2019enregistrement. Marc Quiquerez r\u00e9sume : \u00abUn des r\u00f4les de l\u2019acousticien est de faire le lien entre l\u2019\u00e9quipe de conception architecturale et les futurs utilisateurs.\u00bb Les contraintes du site d\u00e9finissent \u00e9videmment les faisabilit\u00e9s. Ici, le programme \u00e9tabli par le client \u00e9tait de cr\u00e9er une salle de concerts symphoniques de 1500 places pour accueillir les grands orchestres de la Maison de la Radio. Fin 2006, l\u2019\u00e9quipe a r\u00e9alis\u00e9 des tests acoustiques sur une maquette \u00e0 l\u2019\u00e9chelle 1\/10 en y int\u00e9grant des micros et des haut-parleurs permettant de mesurer des informations, et ainsi de finaliser la conception morphologique et le choix des mat\u00e9riaux en cons\u00e9quence. Une modification de l\u2019installation de l\u2019orgue a n\u00e9anmoins entra\u00een\u00e9 une diminution de la jauge de 1500 \u00e0 1461 places<\/p>\n

Chaussures ou vignoble?<\/strong><\/p>\n

Il existe deux typologies principales de salle : la typologie dite \u00abbo\u00eete \u00e0 chaussures\u00bb, qui est le mod\u00e8le historique des grandes salles de la fin du XIXe et du d\u00e9but du XXe si\u00e8cles, traditionnellement rectangulaire, avec une relation frontale entre la sc\u00e8ne et le public ; et la typologie en \u00abvignoble\u00bb, plut\u00f4t enveloppante, \u00e0 la forme plus libre. Marc Quiquerez d\u00e9taille : \u00abRien n\u2019emp\u00eache une salle en parall\u00e9l\u00e9pip\u00e8de d\u2019avoir une sc\u00e8ne entour\u00e9e de public, ni une salle avec des gradins plus d\u00e9coup\u00e9s d\u2019avoir une sc\u00e8ne frontale. Il suffit de changer de proportions. L\u2019une ou l\u2019autre g\u00e9om\u00e9trie n\u2019impose pas une relation frontale ou enveloppante. Cependant, il n\u2019est pas possible d\u2019isoler l\u2019acoustique de tous les autres param\u00e8tres \u00e0 prendre en compte dans l\u2019exp\u00e9rience du concert. La vraie diff\u00e9rence va surtout r\u00e9sider dans la relation du public \u00e0 l\u2019orchestre plut\u00f4t que dans le choix d\u2019une forme de base.\u00bb La perception de la proximit\u00e9 entre l\u2019orchestre et le public cr\u00e9e l\u2019intimit\u00e9. La typologie de la bo\u00eete \u00e0 chaussures, plus allong\u00e9e et plus \u00e9troite, ne permet d\u2019obtenir de grandes jauges qu\u2019en \u00e9loignant graduellement les spectateurs de la sc\u00e8ne : chaque si\u00e8ge rajout\u00e9 le sera de plus en plus loin de la sc\u00e8ne. Les murs lat\u00e9raux, plus proches du public dans une salle \u00e9troite, offrent ainsi des r\u00e9flexions acoustiques. Quid de la configuration en vignoble alors ? Comment cumuler grande jauge et r\u00e9flexions acoustiques dans une typologie enveloppante, en augmentant les dimensions \u2013 et notamment la largeur? En cr\u00e9ant \u00absimplement\u00bb des petits murs entre les blocs de public, qui remplissent leur fonction acoustique en restant proches des spectateurs. Selon la configuration, on ne va pas entendre l\u2019orchestre de la m\u00eame fa\u00e7on si l\u2019on est assis en face ou de c\u00f4t\u00e9 \u2013 de m\u00eame que chacun peut privil\u00e9gier un positionnement plus proche des violoncelles ou des cuivres. Une salle enveloppante n\u2019est pas contradictoire avec une salle frontale: l\u2019objectif n\u2019est pas de changer de paradigme, mais de parvenir \u00e0 faire fonctionner une salle plus vaste. La Philharmonie de Berlin s\u2019\u00e9tait, d\u00e8s 1963, interrog\u00e9e sur cette probl\u00e9matique : comment cr\u00e9er un espace plus grand sans pour autant que le dernier si\u00e8ge se situe \u00e0 60 m\u00e8tres au fond de la salle ?<\/p>\n

Une exp\u00e9rience musicale et sociale nouvelle<\/strong><\/p>\n

Les gradins de l\u2019auditorium de la Maison de la Radio sont structur\u00e9s par l\u2019empilement vertical de balcons en raison des contraintes li\u00e9es \u00e0 la taille du site \u2013 \u00e0 l\u2019oppos\u00e9 des philharmonies de Berlin ou de Copenhague, o\u00f9 ils s\u2019\u00e9tendent \u00e0 l\u2019horizontale. La sc\u00e8ne symphonique, qui mesure 20 m\u00e8tres de large sur 15 m\u00e8tres de profondeur, occupe donc pr\u00e8s de la moiti\u00e9 de la surface disponible. Point exceptionnel: la distance du public \u00e0 la sc\u00e8ne, toujours tr\u00e8s r\u00e9duite gr\u00e2ce au design vertical et compact. Le si\u00e8ge le plus \u00e9loign\u00e9 du chef d\u2019orchestre se trouve \u00e0 17 m\u00e8tres; par comparaison, les pupitres de cordes de chaque c\u00f4t\u00e9 de la sc\u00e8ne sont plus \u00e9loign\u00e9s l\u2019un de l\u2019autre que de n\u2019importe quel auditeur de la salle. L\u2019autre point spectaculaire, qui contribue au ressenti de proximit\u00e9 et d\u2019intimit\u00e9, r\u00e9side dans cette multiplicit\u00e9 de petits blocs et balcons, profonds de quelques rangs seulement. D\u2019apr\u00e8s les calculs, environ 25% des places se trouvent ainsi au premier rang. \u00abLa distance physique est une chose, mais l\u2019impression d\u2019\u00eatre plus proche est au moins aussi (si ce n\u2019est plus) importante \u00bb, insiste Marc Quiquerez. C\u2019est \u00e9galement le r\u00f4le du concepteur du lieu que d\u2019offrir un cadre dans lequel on peut non seulement profiter de la musique de fa\u00e7on traditionnelle, mais aussi la d\u00e9couvrir dans une configuration nouvelle \u00e0 laquelle personne n\u2019avait pens\u00e9. Le partage de la salle en vignoble entre ses diff\u00e9rents occupants est important: il n\u2019y a pas uniquement les musiciens dans le champ de vision des spectateurs, mais aussi d\u2019autres auditeurs qui profitent du m\u00eame moment. C\u2019est une exp\u00e9rience sociale qui enrichit la perception du concert.<\/p>\n

Individuel et collectif<\/strong><\/p>\n

Mais si la proximit\u00e9 favorise le lien acoustique direct entre la sc\u00e8ne et l\u2019auditeur, cela ne vaut pas pour l\u2019int\u00e9gralit\u00e9 du fonctionnement de la salle. En effet, avant m\u00eame le travail sur le son, la capacit\u00e9 des musiciens \u00e0 s\u2019entendre individuellement et collectivement sur sc\u00e8ne est la donn\u00e9e principale. C\u2019est une fa\u00e7on de les mettre en confiance : ils n\u2019ont pas besoin de forcer ou de batailler contre l\u2019acoustique de la salle, comme dans des lieux mal adapt\u00e9s. \u00abNotre mission est de travailler la notion de bonne \u00e9coute individuelle afin que chaque musicien soit capable d\u2019entendre ce qu\u2019il fait et d\u2019avoir une bonne communication avec l\u2019orchestre sous la houlette du chef. C\u2019est effectivement cela qui est transmis au public. Car l\u2019acoustique n\u2019existe pas tant qu\u2019il n\u2019y a pas de musique sur sc\u00e8ne. Mettre les musiciens dans une situation optimale pour leur permettre de cr\u00e9er de la meilleure musique, c\u2019est peut-\u00eatre m\u00eame ce qui vient en premier!\u00bb<\/p>\n

R\u00e9flexion pr\u00e9coce<\/strong><\/p>\n

La morphologie architecturale demeure primordiale. Il faut d\u00e9finir en amont l\u2019emplacement des surfaces r\u00e9fl\u00e9chissantes acoustiques au sein du public et leur orientation en coh\u00e9rence avec les dimensions de la sc\u00e8ne. Mesurer la r\u00e9verb\u00e9ration (le temps que met un son \u00e0 dispara\u00eetre progressivement) est relativement facile. C\u2019est une grandeur assez statistique, mais pas qualitative dans la mesure o\u00f9, par d\u00e9finition, elle reste homog\u00e8ne dans la salle. L\u2019exp\u00e9rience acoustique est, elle, naturellement diff\u00e9rente. La r\u00e9flexion pr\u00e9coce (qui participe \u00e0 la clart\u00e9 du son et \u00e0 la bonne compr\u00e9hension de l\u2019articulation du son de chaque pupitre) parvient \u00e0 l\u2019auditeur tr\u00e8s rapidement apr\u00e8s le son direct (qui est identique \u00e0 la ligne visuelle directe). Cette diff\u00e9rence de temps est un crit\u00e8re important: la r\u00e9flexion pr\u00e9coce met au maximum 80 \u00e0 90 millisecondes (0,08-0,09 seconde) pour parvenir \u00e0 l\u2019auditeur. Plus ce d\u00e9lai est court, moins le syst\u00e8me auditif du cerveau va le traiter comme une information distincte. Ce qui permet d\u2019accentuer le sentiment de proximit\u00e9.<\/p>\n

Mat\u00e9riaux et reverberation<\/strong><\/p>\n

Le temps de r\u00e9verb\u00e9ration est plut\u00f4t li\u00e9 aux mat\u00e9riaux de la salle, qui doivent \u00eatre durs et r\u00e9fl\u00e9chissants pour ne pas att\u00e9nuer l\u2019\u00e9nergie sonore et permettre au son de rebondir sur leur surface. Le volume et les dimensions sont \u00e9videmment \u00e0 prendre en compte : le temps de la r\u00e9verb\u00e9ration est le ratio entre le volume en m3 de la salle et les propri\u00e9t\u00e9s absorbantes des surfaces.<\/p>\n

Les fondamentaux des mat\u00e9riaux sont ainsi discut\u00e9s tr\u00e8s t\u00f4t, et s\u2019affinent au fur et \u00e0 mesure du travail de l\u2019architecte. L\u2019acousticien va vouloir des surfaces tr\u00e8s dures, rigides et massives pour qu\u2019elles soient r\u00e9fl\u00e9chissantes, dans les hautes comme dans les basses fr\u00e9quences. Pour l\u2019acoustique, c\u2019est la densit\u00e9 surfacique qui est importante; et la masse acoustique peut \u00eatre travaill\u00e9e avec diff\u00e9rents types de mat\u00e9riaux pleins et rigides en augmentant leur \u00e9paisseur. \u00c0 la Maison de la Radio et de la Musique, les \u00e9l\u00e9ments suspendus au plafond p\u00e8sent 100 kg\/m2 ; sur les parois, autour de 50 kg\/m2 . Le travail de diff\u00e9rentes essences de bois en placage est avant tout un travail visuel et esth\u00e9tique, qui permet d\u2019accentuer le ressenti des auditeurs; en fait, la masse acoustique de l\u2019auditorium est compos\u00e9e de gypse fibreux et de medium.<\/p>\n

\u00c0 bon entendeur\u2026<\/strong><\/p>\n

Et Marc Quiquerez de conclure: \u00ab In fine, lorsque la salle est achev\u00e9e et que l\u2019on entre en phase de tests, nous jugeons par nos oreilles avec les musiciens et les utilisateurs, et non avec des outils informatiques. Une nouvelle salle, c\u2019est un nouvel environnement qu\u2019il faut apprivoiser. Des principes mis en \u0153uvre en conception ne sont pas forc\u00e9ment naturels pour les musiciens. Il est parfois difficile de se les approprier tout de suite. On dit souvent que la salle s\u2019am\u00e9liore avec le temps, de la p\u00e9riode d\u2019apprentissage \u00e0 la symbiose entre l\u2019orchestre r\u00e9sident et le lieu. Cet auditorium est assez sp\u00e9cial parce qu\u2019il est extr\u00eamement compact; notre perception est presque celle d\u2019une acoustique de salle de r\u00e9p\u00e9tition: on est tellement proche de la sc\u00e8ne que l\u2019on est quasiment immerg\u00e9 dans le son de l\u2019orchestre.\u00bb<\/p>\n

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